Face au contexte économique toujours aussi dépressif, trouver un poste correspondant à sa formation et à ses ambitions relève presque du miracle. Sans compter sur les exigences toujours plus élevées des recruteurs en termes d’expérience sur le CV. L’expérience constitue-t-elle un gage de professionnalisme et de compétence ? Pas si sûr…
"Entreprise X cherche jeune diplômé, 10 ans d’expérience minimum en trading de produits exotiques acquise au sein d’un groupe financier d’envergure internationale, résistant au stress, motivé et totalement autonome… ". Voilà le genre d’annonce que l’on peut lire en ce moment sur le net lorsque l’on est en quête d’un nouveau job. Bon, ok, j’ai légèrement exagéré la chose mais la réalité n’est pas si éloignée que ça.
Rien de bien surprenant ceci dit. Le secteur financier subit encore les effets de la crise à travers les nouvelles exigences réglementaires (excessives) issues de Bâle III qui les poussent à réduire leurs bilans et couper sec dans les effectifs de la Banque de Financement et d’Investissement (BFI) (et à se tourner vers le shadow banking, mais c’est une autre histoire). A contexte économique tendu, recruteurs aussi ! Recruter un collaborateur coûte cher, en temps et en argent. D’où cette volonté légitime de ne pas se tromper. Alors quoi de mieux pour rassurer un DRH qu’un beau CV avec une grosse expérience ? Un CV avec une TRES grosse expérience bien sûr !
[L'expérience : critère majeur de sélection dans les processus de recrutement]
De la question de la définition de l’expérience…
Sans entrer dans un grand débat philosophique, peut-on mesurer l’expérience d’une personne ? Bien sûr, il suffit de regarder le nombre d’années me direz-vous ! Certains CV mentionnent d’ailleurs clairement cette information sous l’intitulé même de leur poste. Très bien. Mais mesure-t-on la force d’un homme par le poids ou la taille qu’il fait ? Mesure-t-on la valeur d’une œuvre par le temps de création ? Non. La quantité importe peu, c’est la qualité (des muscles de l’homme ou du génie de l’artiste dans notre cas) qui va faire la différence. Alors comment pourrait-on décemment mesurer l’expérience en années ? Petit cours d’étymologie :
"Expérience, du latin experientia signifiant l’épreuve, l’essai, la pratique."
Par extension, on nomme expérience l’ensemble des enseignements que nous a fourni l’analyse de ces épreuves. Tirer les leçons de ce que l’on a déjà vécu, pour améliorer la gestion des évènements futurs. Avoir de l’expérience, c’est donc avoir des connaissances. Rien à voir avec un nombre d’années. Alors oui, c’est sûr qu’un senior avec 20 ans d’ancienneté derrière lui aura bien plus de chance d’avoir davantage d’expérience que le p’tit jeune débarqué il y a 6 mois. Ceci dit, entre 20 ans à dormir ou 6 mois à se donner à fond, sur qui parieriez-vous ?
Bien évidemment, il y a un début à tout et il est tout à fait compréhensible qu’une entreprise n’ait pas le temps et/ou les moyens de former un novice, notamment dans des domaines où de fortes compétences sont requises.
… à la mesure des connaissances
Selon toute logique, la valeur d’un profil se mesure au regard de ses compétences et de ses connaissances. Pour prendre mon cas personnel, j’ai de l’expérience en matière de lutte contre le blanchiment d’argent. Ca ne veut pas dire que j’ai plus de compétences qu’un autre contrôleur interne. Non. Simplement que j’ai acquis certains réflexes et une certaine méthode, que je suis régulièrement les évolutions de la réglementation financière, que je publie des articles sur le sujet. J’ai pour ainsi dire pu "toucher à la chose" et expérimenter tout un tas de techniques et de situations qui m’ont permis d’acquérir de solides connaissances en la matière.
[L'expérience à elle seule est insuffisante. Dynamisme, curiosité, enthousiasme ou encore engagement constituent de précieuses qualités à ne pas négliger]
Le parallèle peut être fait avec l’intelligence et la culture : mesure-t-on la culture en années ? Certainement pas ! Préféreriez-vous être intelligent ou cultivé ? Les 2 me direz-vous, certes, mais "le cultivé" a cette curiosité, cette volonté d’apprendre et de confronter ses idées que n’a pas "l’intelligent" qui se repose sur ses acquis. L’expérience, aussi grande puisse-t-elle être, reste une quantité finie. La curiosité, la générosité, la perspicacité sont autant de qualités au potentiel infini.
La prépondérance du critère "expérience"
Sans vouloir généraliser les processus de recrutement ni me mettre à dos certains recruteurs, il est certain que les modes de recrutement actuels sont en total inadéquation avec les réels besoins de chacun (candidat comme entreprise). Aujourd’hui, le temps moyen accordé à un CV est de 2 minutes environ. Un délai bien trop court pour permettre une lecture adéquate d’un parcours couché sur papier. Rien d’étonnant à ce que LE critère recherché en priorité sur un curriculum vitae soit celui de l’expérience. Sauf que les choses ne sont pas aussi simples que ça. Il me semble préférable de :
> Ne pas se focaliser sur le CV mais plutôt sur la lettre de motivation. Il est beaucoup plus intéressant de savoir comment chaque candidat perçoit l’entreprise, le marché dans lequel elle évolue et les perspectives d’évolution plutôt que de savoir qui a la plus grosse… expérience !
> Questionner le candidat sur ses motivations quant au choix de l’entreprise, ses ambitions une fois en poste. Cet exercice permet de déceler les personnes réellement motivées et engagées des opportunistes sans réelle conviction.
En définitive, on ne recrute pas sur la base d’un CV, photo du passé reflétant un parcours à un instant T, on recrute sur la base d’un potentiel auquel on croit. On ne recrute pas un profil, on recrute une personne.
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